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« Baudelaire, Hymnes du beau bizarre » - SAUVÉS PAR LE KONG
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« Baudelaire, Hymnes du beau bizarre »

« Baudelaire, Hymnes du beau bizarre »

« Baudelaire

Hymnes du beau bizarre »

Article à paraître dans « Paroles », le magazine de l’Alliance Française de Hong-Kong

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« Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais elles sont incurables » peut-on lire dans le Figaro du 5 juillet 1857, quelques jours après la parution du recueil. Électrochoc dans le landerneau littéraire parisien d’alors, on n’imagine mal le brûlot au programme du bac un jour… La poésie de Baudelaire est électrique, câblée d’une énergie noire et hypnotique. L’œil qui se pose pour la première fois sur ces vers ciselés depuis le crâne accablé d’un cerveau souffrant ne peut s’empêcher de regimber avant de s’accoutumer aux flots du maître, à ce style foudroyant où le Spleen le dispute à l’Idéal, où la fascination du mal devient la condition d’accès à la Beauté artiste et au salut de l’âme.

Malsaines, furieuses, enivrantes, fuligineuses, « Les Fleurs du Mal » exhalent le souffre et le parfum du scandale depuis le premier jour. Du ciel bas et lourd jusqu’à l’invitation au voyage, tout se laissant porter par le vol de l’Albatros, il y a tant d’images durables, de vers mémorables distillés par la cornue de ce « premier voyant », de cet alchimiste maudit qui clamait, rictus a la commissure des lèvres, que le génie résidait dans les poncifs… Il est encore aujourd’hui, à l’heure du bicentenaire de sa naissance, le peintre ultime de la vie moderne, le poëte le plus lu et le plus célébré pour son grand Œuvre unique.

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Hymnes aux alchimies du verbe

Sexe, opium, Satan, névrose, nul ne manque au sabbat de la « sorcellerie évocatoire » et pourtant l’alchimie opère en filigrane. Sa poésie agit comme un athanor. Elle produit sur l’adolescent qui plonge dans cet inconnu une décharge dont il se souvient longtemps, une défiance, une répulsion peut-être, un haut-le-cœur ou une fascination inexplicable mais qu’importe, l’œuvre travaille en lui, les mots souterrains des premières lectures lui offrent le prisme d’une réalité neuve, soudaine, intrigante, sibylline et romantique. A lui de devenir oracle à son tour. Ces mots lus, susurrés, entendus, parfois clamés puisqu’appris par cœur deviennent les clés de cet univers inédit claquemuré de stupre et de spleen, l’alcôve d’un auteur qui vous invite – hypocrite lecteur – à descendre avec lui dans les tréfonds de l’âme humaine. Ainsi le postulat : la beauté est « toujours bizarre », parfois hideuse, souvent glaçante… Lire l’épigone Rimbaud qui des années plus tard abonde en ce sens: « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l’ai trouvée amère. − Et je l’ai injuriée ».

Mais les danses macabres auxquelles Baudelaire vous convie ne se complaisent ni dans le glauque ni dans le mortifère – pas de séance de spiritisme alcoolisée au Père Lachaise au menu – non, le projet, la proposition, la ligne d’horizon n’est autre que l’Idéal aurifère, la transmutation de l’âme, là-bas… là-bas… Vers les merveilleux nuages: « Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir, Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte. Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence, Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » Le Poëte (Baudelaire use de ce tréma décati dans ses corrections) s’assigne lui-même cette mission : transformer le quotidien, transmuer les passions tristes, refonder une vie artiste dont le seul salut sera l’exigence du Sublime (au sens alchimique) ou la Mort (autre idéal). Comme pour ces « sculpteurs damnés et marqués d’un affront […] qui jamais n’ont connu leur Idole… », Baudelaire préfère la damnation à la médiocrité, quitte à souiller son âme dans d’éprouvantes catabases:

« Nous userons notre âme en de subtils complots,

Et nous démolirons mainte lourde armature,

Avant de contempler la grande Créature ! »

La Mort des Artistes

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L’Idéal est Ailleurs

Un Idéal donc, ambigu, un Ailleurs, ambivalent entre anges et démons, un dualisme qu’il faut saisir transcendé depuis qu’un certain Platon a désigné l’exit de la Caverne sensible, qu’il a décrété dans sa barbe que le royaume des Idées n’était pas de ce monde. Baudelaire se propose d’y accéder à grands coups de paradoxes comme d’autres philosophent à coups de marteaux; par l’alliance des contraires, le choc des analogies et pour causer stylistique, par la puissance de l’oxymore, déjà contenue dans le titre des Fleurs du Mal et passim : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’inconnu, pour trouver du nouveau ! ». S’immiscer dans tous les « gouffres amers », vils, maudits, fangeux, de Paname ou du Moi – si peu maître en sa demeure – pour en faire saillir les étincelles du Beau, du Vrai, du Bien. « La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté ; elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse » confesse-t’il car c’est bien dans l’intervalle entre les fanges du spleen et les sphères de l’idéal que se rencogne la condition humaine, ni ange, ni bête, encline à des aspirations contraires qui se bousculent.

Certes vous retrouverez les topoï habituels : tempus fugit, amours déçues, saisons comme paysages de l’âme, finitude lancinante qui sont autant de clichés rebattus mais Baudelaire fait valdinguer leur traitement en alexandrins. Car s’il est au carrefour de trois mouvements comme je le serine à chaque rentrée : « héritier du romantisme noir, annonciateur des mélopées symbolistes; qui dédie ses fleurs maladives au poète impeccable Théophile Gauthier, sculpteur parnassien des émaux, des camées et des proses trop polies… »; il fait surtout voler en éclat l’image poétique affadie par des siècles de mièvreries melliflues.

Ainsi le recueil à l’origine devait s’intituler « les Lesbiennes » puis « les Limbes », références que n’aurait pas reniées l’embastillé marquis de Sade du fond de sa geôle mais qui résonne à nos oreilles un dièse plus haut que de la simple provocation. Des amours gomorrhéennes licencieuses ou du séjour des âmes enfantines en géhenne, l’auteur tranchera finalement pour les Fleurs du Mal, dont l’éclosion ne pourra avoir lieu que dans un Enfer pétri de contradictions : l’âme humaine. Rimbaud dans sa lettre du Voyant, « résolu de [n]ous donner une heure de littérature » ne s’y trompe pas qui écrit du haut de ses seize ans que le vrai poète est « multiplicateur de progrès », qu’il cherche en lui-même, épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences […] où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! ».

Sans Baudelaire, pas de Rimbaud. Ce dernier reconnaît la filiation après avoir dénigré dans la même missive les fossiles de l’Académie, un Hugo trop cabochard, et le Musset exécrable… Il n’en reste qu’un qui a su « inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes » c’est Baudelaire « premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. »

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Hymnes de la mélancolie, le Spleen de l’Oeuvre au Noir

« Si Baudelaire avait gobé des antidépresseurs, il n’aurait jamais écrit les Fleurs du Mal ». Lorsque notre professeur de khâgne M.Miraux prononçait cette phrase en ouverture d’un cours au début du siècle, il n’ignorait pas que l’anachronisme nous ferait rire. Pipe d’opium en solo, club des Haschischins avec les copains, laudanum pour apaiser sa syphilis, vin des amants et nectars divers… (peu à voir avec le quotidien d’un préparationnaire donc)… On savait que les « paradis artificiels » auxquels goûtait Baudelaire n’arrangeaient pas sa santé fragile. Au contraire et c’est souvent méconnu : il a noir sur blanc affirmé dans l’éponyme essai paru en 1860 que ces addictions sont perverses et que le poète véritable n’a nul besoin de drogues pour laisser infuser l’inspiration: « les vices de l’Homme sont la preuve de son goût pour l’infini. Seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. »

Pour les antidépresseurs il faudra attendre 1952, et c’est donc avec un siècle d’écart que Baudelaire déverse sa noirceur. Nul besoin d’alcaloïdes lorsque le Spleen est aussi puissant. Cette profonde Melancholia qui tire son étymologie du grec puis de l’anglais et qui signifie « rate », le poëte l’utilise en référence à la théorie des humeurs du médecin de l’Antiquité Hippocrate. L’organe selon lui sécrétait la « bile noire », ce poison fielleux responsable de l’angoisse du temps qui s’égrène, de la nostalgie, de la culpabilité… et de l’Ennui, l’infatigable ennemi ! L’écriture des Fleurs du mal s’étale sur plusieurs années et quelques poèmes sont déjà parus dans d’obscures publications mais à l’orée de 1857 l’architectonie du recueil et la contexture des sections sont établies; auxquelles s’ajouteront en 1861 les Tableaux Parisiens (placés juste après Spleen et Idéal, section qui accueille les ailes de géant de l’Albatros cette même année).

D’emblée le Spleen semble conjuré dès les poèmes liminaires dont les titres tintent comme des promesses : « Bénédiction », « Le Soleil », « Élévation » et « Correspondances », autant de revenez-y où Baudelaire s’épanche sur sa naissance dans un « monde ennuyé » mais où « sous la tutelle invisible d’un Ange, l’enfant déshérité s’enivre de soleil », celui-là même qui « remplit les cerveaux et les ruches de miel » et « ennoblit le sort des choses les plus viles ». Élévation évoque son esprit, le seul à se mouvoir « avec agilité » loin des « miasmes morbides », le seul qui « comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes », signes et symboles, « regards familiers » que lui roule la Nature, ce « temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles » et que le poète s’échine à déchiffrer. L’Idéal, l’objet de sa quête poétique, semble apparaître au sortir de la caverne platonicienne par l’entremise des synesthésies, ces figures de style qui entremêlent plusieurs perceptions sensorielles, ces strophes où « les parfums, les couleurs et les sons se répondent » et qui imprègnent l’ensemble de la prosodie baudelairienne:

« II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies »

Enfin ces quatre pharmakos intitulés « Spleen », à la fois remèdes et poisons; que j’aime à réciter avec les élèves les jours de pluie ou de typhons. Comme la lumière luit des cloches fêlées, ce sont ces poèmes cardinaux, noirs de suie et de plaintes qui peuvent bercer plaisamment, créer une indolence sereine à défaut d’illuminer la journée…

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits »

Comme si le poète avait su trouver les mots qui consolent, comme s’il avait su cerner ce que d’aucuns ressentent au plus profond; et peut-être plus que jamais à l’adolescence. Le Spleen n’est alors plus ce lénifiant venin qui gangrène et avachit mais la rage créatrice de vivre, la prime étape d’un élan vital qui enjoint à se dépasser, à « voir » et penser au-delà de notre finitude, à s’extirper « anywhere out of the world » vers des cieux éthérés ou des gouffres amers, clabaudant de concert avec le poète que « le Beau est toujours bizarre ».

Ambre, musc, benjoin, encens, tous ces parfums qui exhalent l’expansion des choses infinies, venez les retrouver cette semaine dans « Baudelaire et ses Fleurs du Mal, Hymnes du beau bizarre »

Matthieu Motte

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