SAUVÉS PAR LA POÉSIE 2019
Du beau verbe, du grand Brel, des poètes de 17 ans qui s’ignoraient et à qui l’on confie :
« ça m’a touché, ça m’a plu, je ne m’y attendais pas… »
Sauvés par la Poésie, depuis 4 ans c’est de la musique avant toute chose, et tout le reste est littérature.
Ce concours d’invention poétique a pour but de motiver les belles plumes avisées comme les poètes en herbe, en somme de permettre à toutes les imaginations de pouvoir librement s’exprimer en vers ou en prose à 8000 km du Pont Mirabeau.
Pour avoir lu tous les poèmes jusqu’à la lie, laissez-moi vous avouer qu’on passe du réconfortant au drolatique, du sublime au « tiens donc! », du slam au sonnet pétrarquiste en passant par des petits poèmes en prose de tableaux hong-kongais, mais qu’on n’est jamais déçu.
Bravo à tous les participants,
Félicitations aux lauréats,
Rendez-vous l’année prochaine pour tous les autres!
Matthieu
Pics by @Photochromatique
PRIX d’EXCELLENCE « BEAUTÉ »
INGRID SERA-GILLET
PRIX SPÉCIAL DU JURY « DELL’ARTE »
MARINE BOUYSSOU
PRIX DES JEUNES : « SENSATIONS »
SARAH BEN TKHAYET
PRIX DE L’ALLIANCE FRANCAISE : « D’une beaute sentimentaire »
EDWARD WONG
PRIX DE L’ORIGINALITÉ « MON PLUS BEL HERITAGE »
MATHILDA
PRIX DELA MUSICALITÉ : « UN REMEDE DE GRAND-MERE »
VALERI ZASYEKINE
POEMES LAUREATS
PRIX d’EXCELLENCE « BEAUTÉ »
INGRID SERA-GILLET
Beauté
Elle surgit de nulle part, parfois mal fagotée
Au detour d’un regard, au creux de mes pensées
Lors saisi d’émotion, je m’empare du mystère:
Est-ce hallucination, une rêve à la Baud’laire?
Ce petit bout de Dieu, d’un ordre subliminal
Qui me brûle les yeux dans l’éclat d’une étoile
Tu t’imposes, insondable, mais serais-tu factice?
N’es-tu pas fille du diable cachée sous l’artifice?
D’aucuns cherchent ton âme sur du papier glacé
C’est tentant tout ce charme, ce “prêt-a-consommer”
Ces airs de pacotille, cette facture en toc
Ces moues qui émoustillent, nonchalentes, équivoques
Fi de ces pantomimes et farces ridicules!
C’est l’esprit qu’on opprime, le vrai qu’on manipule!
Car tu es la vie même et la mort tout autant
La musique que j’aime, le divin dans l’instant
Tu es dans le détail, si peu dans la plastique
Pas de lumière sans faille, le reste est synthétique
On débat proportions, on se galbe la cuisse…
Mais que cesse l’obsession du mètre soixante-dix!
Car tu es dans le geste, tu es dans l’indicible
Et tu te manifestes sous des formes impossibles
Tantôt chez Picasso, chez Modigliani
Rostand, Frida Khalo et Pina Bausch aussi
Dans le Boson de Higgs et les Supernovas
L’envol du Phenix, les airs de Porpora
Dans la veine saillante qui parcourt ton cou lisse
Dans ta chair ondulante et tous ses interstices
Ah j’en ai le vertige! Comment dois-je te nommer?
Opus ou bien Progide? Ou “Votre Majesté”?
Je cherche dans les axiomes et dans les théorèmes
Je erre dans ton royaume, je t’écris des poèmes
Je m’voulais spectateur mais me voilà captif
Pathétique, amateur, suis-je vraiment fautif?
Ton aura magnétique que je sens, je devine
Touche aux sphères psychiques dopées à l’endorphine
C’est alors que happé, comme en apesanteur
Je finis par céder à l’instinct qui affleure
Pris en flagrant délit, je fais de toi ma norme
Quand tu réconcilies le fond avec la forme
Car ta grâce irradie et devient le principe
qui inspire ma vie, loin des stéréotypes
Je te salue, Beauté!
PRIX SPECIAL DU JURY « DELL’ARTE »
MARINE BOUYSSOU
Dell’arte
Poudre bien blanche et rouge aux joues,
Dans le miroir elle fait la moue.
Jeune première ou femme savante,
Peu lui importe, sans mentir,
Pourvu qu’on l’aime, qu’on la désire.
Son double est là qui la regarde,
Yeux dans les yeux la met en garde :
Lui n’est pas dupe du temps qui passe
Et lui rappelle sur son visage
Que si tout meurt, rien ne s’efface.
Sonnent les trois coups du brigadier.
Regards inquiets, souffle coupé.
Sous la lumière des projecteurs
Et dans le noir les spectateurs
Y croiront-ils encore ce soir ?
Voilà dix ans qu’elle n’a pas joué
Mais elle le sait, rien n’a changé.
La flamme est là, l’envie aussi
La commedia coule dans son sang
Ses mots sont ceux de Goldoni.
Mais ce soir pas besoin de masque
Elle accepte qu’on la démasque.
Miroir sans fond, reflet perdu ?
Beauté volée ou fleur fanée ?
Ce soir elle veut se mettre à nu.
Cheveux bouclés, charme angélique,
A son reflet elle fait la nique.
Mademoiselle ou bien Madame ?
Peu lui importe, sans mentir,
On ne verra que son sourire.
PRIX DES JEUNES : « SENSATIONS »
SARAH BEN TKHAYET
Sensations
Lèvres rougées
Cils encrés
Nez poudré
Joues rosées
Elle se regarde dans le miroir C’est quoi ce foutoir?
Yeux ridés,
Boucles vexées,
Imperfection frontale
Visage trop pale.
Elle doit être parfaite, magnifique
Tel une oeuvre d’art spéciale, unique
Peau en porcelaine,
Pas plus d’une quinzaine.
Pas un cheveu qui dépasse,
Tout qui la tracasse.
Plus serré, plus serré, plus serré
Pas un gramme de chair qui devrait dépasser. Elle doit être élégante,
Mais pas rigide.
Elle doit être ravissante,
Mais pas timide.
Elle s’écroule par terre,
Éclate comme du verre,
Cheveux en l’air,
Expression vulgaire.
C’est fini la perfection,
La beauté c’est une sensation.
PRIX DE L’ORIGINALITE « MON PLUS BEL HERITAGE »
MATHILDA
Mon plus bel héritage
Vous m’avez fait remarquer la forme de mes mains :
Osseuses, disgracieuses, malheureuses.
Moi, je ne leur trouve rien.
Je les ai empruntées à mon arrivée,
On me les reprendra le jour du départ,
Implacable est la loi de l’hérédité.
Là-bas, à l’ouest de l’Atlantique,
Elles servirent des générations de guérisseuses et de guerriers.
Elles gouttèrent les pluies tropicales et sculptèrent des temples colorés.
Là-bas, aux couleurs de Castille,
Elles incarnèrent intrusion et destruction.
Mains violeuses, mains étrangleuses, mains religieuses.
Peut-être qu’ici ces mains travaillèrent :
Tantôt la terre, tantôt les métaux,
Auprès des enfants, ou dans les fourneaux.
Probablement qu’ici ces mains firent la guerre.
Dans les tranchées de Verdun, dans les prisons de Berlin,
Ces mains ont tremblé au son de la fin.
Une éternité qu’elles errent dans ce monde.
Aimant, souffrant, modelant,
Au rythme des vies de ceux d’avant.
Parfois mutilées, parfois intactes,
Parées de bijoux ou brodées d’entailles,
Elles sont parvenues jusqu’à moi.
Il est vrai qu’elles ont quelques éraflures nouvelles,
Et des ornements un peu plus modernes,
Mais elles ont survécu jusqu’à vous.
Alors, ces mains ancestrales,
De leur splendide immortalité,
Et au nom de tous ceux qui les ont possédés,
Elles vous font taire, par tant de beauté.
PRIX DELA MUSICALITE : « UN REMEDE DE GRAND-MERE »
VALERI ZASYEKINE
Un remède de grand-mère
Ya pas plus beau
Que les voiliers dans le Vieux-Port
Abandonnés par l’air du temps
Que les souvenirs dans l’angle mort
Oubliés on ne sait comment
Ya pas plus beau
Que la buée sur les vitres d’hiver
Et ses messages temporaires
Que regarder dans l’aspirine
Mon rouge à lèvres alizarine
Ya pas plus beau
Que les progrès de l’orthodontie
Les kilomètres jusqu’à Paris
Les sourires dans les vergetures
Le nom des marques de voitures
Que le ciel sous amphétamines
Et les hôtesses qui trahissent
Les secrets des pilotes de lignes
Desquels elles ont été complices
Ya pas plus beau
Que les hôpitaux aux heures creuses
Que le silence comme berceuse
Qu’les particules élémentaires
Qui se retrouvent au fond des verres
Oublie la taille du mappemonde
Et le sourire de la Joconde
Le désert est au pied du lit
Pas dans les plaines du Gobi
De toute façon après 20h
Tous les soldats sont inconnus
Va pas fleurir ma tombe de pleurs
Et voyage jusqu’au bout de la rue
Ya pas plus beau