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Sauvés par le Kong #3 - SAUVÉS PAR LE KONG

Sauvés par le Kong #3

HELTER SHELTER

“Il m’arrive d’éprouver une sorte de stupeur à l’idée qu’il ait pu exister des “fous de Dieu”, qui lui ont tout sacrifié, à commencer par leur raison. Souvent il me semble entrevoir comment on peut se détruire pour lui dans un élan morbide, dans une désagrégation de l’âme et du corps. D’où l’aspiration immatérielle à la mort. Il y a quelque chose de pourri dans l’idée de Dieu !“

(Emile Michel Cioran – Des larmes et des saints / 1937)
George est à la bourre pleine bourre. Stanley Market – 5:30pm – 4 par 4 – il dévale en trombe les marches du 7/11 et déboîte cavale pour tenter d’attraper un bus. Ça cause français dans tous les coins. « Attends tu vois un peu le jeu du gouvernement ? Des Fabius et compagnie ? »

Fermez les yeux, ça sent le terroir. D’autant plus perceptible la tchatche de Molière que le ton, le peu d’accentuation et le rythme la font surnager dans des fréquences peu usitées de l’english ou du cantonnais.

Premiers mots dérobés au vol : « On ne parle plus de la Syrie, soi disant on devait intervenir après que Bachar a utilisé les gaz, putain sérieux des cadavres de gosses plein les rues, armer les rebelles, virer le boucher et puis pschitttt silence radio… »

George se saisit de deux paquets de Mentos pour le prix d’un, pour avoir l’haleine fraîche.

Dans sa course folle, tandis que le manche de sa gratte en bandoulière manque d’estropier les têtes à couettes qui dépassent, il chope d’autres bribes de discussion. En provenance de parfaites nubiles cette fois, têtes à claques, que l’ambiance du Dragon-I la veille avait sûrement échaudée : « on a trop ri j’te jure, c’est bien simple y’avait que des connards, enfin y’avait que des Français quoi… ».

Une vision s’impose à Georges.

Des dodos sur un banc de sable mauricien style XVIème rococco se résignent à ne pas survivre tellement ils se sentent galeux. A cause de leurs femelles, le struggle for life a le goût du vaudeville. Georges saisit « Soumission » dans sa poche droite et le rouvre à la page 156 où il l’avait laissé, appuyant machinalement sur son lecteur de musiques volées. Le bus 260 direct Central cligne du phare, ouvre ses portes. Frisson heavy, frisson métal…

Le riff liminaire de « Helter Skelter » allait rugueusement dessiner la soirée.

« Do you, don’t you want me to love you
I’m coming down fast but I’m miles above you »

George se barricade dans ce bus à impériale et retient son lunch le plus loin possible de sa trachée artère. Ça roule à tombeau ouvert et chaque virage appelle une survivance, une victoire intestinale.

Le cerveau reptilien de Georges a même localisé les petits marteaux rouges briseurs de plexiglas au cas où ça tourne-valdinguerait mal. Le chauffeur fulmine. Encore un de ces feux rouges à la con qui ne sert à rien. On croit voir des idéogrammes s’égosiller hors de sa bouche comme dans un phylactère. Lui dont la voûte plantaire s’est abattue toute entière sur la tite pédale d’accélérateur deux secondes plus tôt se voit objecter un stop, tout de LED rouges provocantes.

Georges contracte ses ischio-fessiers comme s’il devait souffrir les derniers outrages. Entre Stanley Plaza et Pottinger Street, Il n’a compté pas moins de 32 virages que son pilote devait considérer comme des lignes droites. Quel intérêt d’aller à Ocean Park ?… Ce parc d’attractions pour pleutres en mal de week-end. Les meilleurs roller-coasters de Hong-Kong sont le 6X, le 66 et bien évidemment le 260 Direct Central (les mini-bus verdâtres sont hors compétition) dans lequel certains chauffeurs ont même cru bon investir dans des gants de Formule 1.

« Now helter skelter helter skelter
Helter skelter yeah… Ooh!»

La pénombre, les falaises, le vide, la vie, la mort, mes fesses, la commode, le jeu des branches qui cognent les vitres et ces virages en lacets, abrupts et casse-ta-gueule qu’on regarde du coin de l’oeil en pensant j’ai pas peur, se disant ouah quand même. A 10 dols Le tickson de manège, les 45 minutes de sensations fortes sont données et l’envie de gerber n’a jamais été aussi concomitante de la peur de mourir.

Et pourtant… Une question venait le tarauder quasi-quotidiennement : comment se fait-il qu’il y ait si peu d’accidents sur l’île? Ça doit dépendre d’un pas bol d’être dans les parages, un sale jour à 130 tués à l’heure.

« When I get to the bottom I go back to the top of the slide
Where I stop and I turn and I go for a ride
Till I get to the bottom and I see you again
Yeah yeah yeah hey »

Sain et sauf, George prend la réalité en main, celle qui crisse et qui suinte. Celle qui mitraille. Il fait halte à l’Envoy, le bar du Pottinger, et se cale le fondement sur cette terrasse que les lointains refusent. Il baisse le volume et respire plein-poumons. Il se sent en sécurité enfin. L’ombre des buildings s’orne des néons et les antennes au faîte mentent sur les hauteurs. C’est là qu’il aime siroter innocemment son Meurtre de L’Orient Express en murmurant que c’est la vodka qui a fait le coup. Et il se sent heureux, loin si loin des petits tracas qui tracassent, loin si loin de Paris et des monts qui le parnassent.

« Look out, cos here she comes »

Il remonte le volume à la bride de son casque et c’est encore Helter Skelter qui passe en boucle depuis tout à l’heure sans qu’il se soit rendu compte de la sourdine rengaine et du repeat again. Durant les cinq minutes qu’il consacre à perdre quotidiennement, il se rend sur Facebook, explorer l’introspection au tout venant de ses amis par milliers, chialant sur l’abrutissement des uns – qu’il allait virer, les éclats de joie trop-beaux-pour-être-vrais des autres qu’il allait garder, en songeant à les virer.

Jingle/bing. Un push connecté Bandsintown – Eagles of Death Metal- LE BATACLAN – Paris, France Interested- Going-get tickets. Friday November 13, 2015 – 7 :30 PM.

Top la venue des Eagles, si ça se trouve Boris y va avec Ju, Som aussi d’ailleurs… Ils ne s’en vantent pas sur le fil d’actus mais à tous les coups ils ont eu des places avec Ben. Il nous en avait eu pour Fauve l’an passé, il a dû y aller avec Rox et laisser le petit à la maison.

« I’m coming down fast but don’t let me break you
Tell me tell me tell me the answer
You may be a lover but you ain’t no dancer»

 

Sven Larsonn


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