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Spectacular Spectacular ! - SAUVÉS PAR LE KONG
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Spectacular Spectacular !

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Hong-Kong-Kong Dollar.

 

Texte : SVEN LARSONN

Photos : ALEX REYVAL

 

” Tout est près. Les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs. On ne dormira jamais.”

André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.

« Haine de la bassesse, admiration du beau, large compas ouvert sur toute chose, amour suprême de la forme, religion de l’art, course inlassable vers l’idéal, telle a été la vie de Gustave Flaubert ; elle est d’un haut enseignement dans notre siècle de positivisme et peut fortifier, je crois, bien des âmes. 

Caroline Franklin Grout, nièce de Flaubert. Villa Tanil, Antibes, mai 1914.

 

Georges est fasciné par tout cet argent qui le répugne. Dans ce jeu de l’amour et du bazar qui confine à la question existentielle : « suis-je ici pour gagner de l’argent, vraiment ? » se joue également son avenir. « Should I stay or should I go? ». A Hong-Kong, in San Stanley existe un bar, « Smugglers », un repère de contrebandiers qui est tapissé de billets de banques élimés, agrafés, parafés par les buveurs invétérés de passage. C’est à la fois un repère de pirates et une allégorie de la Caverne en vase clos dont la réalité sensible lui paraît l’exact mirage de ce qu’est Hong-Kong, cette ville qui ment et qu’il aime pourtant.

 

Georges est accoudé à son rêve.

Que ce soit dans la main d’un calme broker ou dans le vide-poche d’un taxi pressé, le billet de banque est le même. Washington sourit. Mao aussi. Tout le monde a l’air d’être heureux, concentré ou satisfait de lui-même sur un bifton. C’est la base. Le nerf de la guerre c’est de l’envie en veine et du sourire en coin.

Yumeji’s thème, sortez les violons.

Nous sommes au Smugglers, les billets de banques brillent et puent tout autour de lui. Ils suintent et le suivent du regard. Ils « pleuvent » hagards. Au plafond, sur les murs, les dictateurs sourient et les zéros zèbrent l’infini. Ça jacasse, caquète, ça rit gras. Pas de carte au trésor dans le sanctuaire du bifton. C’est un arbre lunaire veiné de poutres et d’acajou, une pluie de dollars et de yuans dans une mousson d’alcools en mousse. Une embrassade fraternelle, une retrouvaille entre la monnaie-papier et le bois, une partouze des grands de ce monde avec pour seule vestale Élisabeth II. Le quorum est réuni dans la piscine à fric des morts en trombe : Washington, Mao, James Cook, Sir John Alexander Macdonald, l’oncle Picsou. Tout ça.

Quand il pense que la Banque de France en son temps avait misé sur Corneille, Berlioz, Debussy, Quentin de La Tour, Montesquieu et Pascal, et puis Delacroix… Ça avait de la gueule quand même Delacroix : un 100 francs fantasmé, « Liberté » amazone guidant le peuple, sein en bataille recto, place Furstenberg verso… La plus belle place de Paris avec ses quatre Paulownias coréens et ce lampadaire qui est le cinquième arbre feuillu surgi d’un rêve surréaliste.

Ça avait de la gueule le 100 boules Delacroix. Après la barbarie à visage humain, le CAC 40 à bouille humaine. « Panache » même pour ceux qui sont à la dèche. T’avais un bout de l’Académie quand t’avais un bon de la Banque de France.

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Alex Reyval  https://www.instagram.com/alexreyval/

 

Le juke-box du bar brasse en taille douce et en petites coupures à cinq temps du Roger Waters énervé : « Money, get back

I’m all right, Jack, keep your hands off of my stack. Money, it’s a hit »

George n’a jamais été aussi synchrone avec Pink Floyd. Hong-Kong voudrait faire croire que la petite monnaie, les grosses coupures se brassent à quatre temps, mais il a raison Waters, y’a un cinquième temps qui est l’équivalent du grain de sable dans la machine-machin bien huilée. Le cinquième temps de « Money » il appartient aux coolies, aux vieux de la veille, aux scoliosés des petits charriots en fer sur Caine Road, sur Aberdeen Road, sur ces routes en pente raide qui ne les feront jamais atteindre les 88 miles à l’heure. Ils ne nous voient même plus et se sont faits une raison de crever comme ça, par ignorance. Pour que nous vivions mieux, ils n’ont rien vécu et ne vivront rien. Ce sont les roseaux qui plient mais ne rompent pas, les échafaudages de bambous qui furent les tuteurs d’une cité d’acier et de fric, ce sont leurs vertèbres. Des scaffoldings surannés pour des gratte-ciel qui massent les cieux, ce sont nos ténèbres.

Georges ne souffre plus les phalanges recourbées sur les bords des trottoirs, encore moins les sourires cloches de fées en courbes des triomphes. Toutes ces « venges et venges » en désolées de vivre. Il touche une à une ses phalanges pour être sûr d’être bien réel, de n’être pas un animal mécanique. Il existe et tant qu’il bande, tant que sa verge est pleine de de sang, son conatus est bien réel. Hong-Kong est une vanité, un mensonge, c’est une illusion, un mirage depuis le début. La skyline obombre tant de poussière sous les tapis dont nous nous tapissons.

Il est toujours au Smootlers. ils ont changé l’enseigne en une semaine, ce qui est la coutume a Hong-Kong. Les devantures ne durent. Il est au Smootlers anciennement Smugglers de San Stanley a espérer de la contrebande internationale. Dans une solitude à faire désespérer les grains de sable, il voudrait un truc vasculaire et musculaire. Eros, Thanatos, Amok, pulsion de vie, pulsion de mort, pulsion de sexe, pulsion de fric, cette ville est une pulsion. Et l’argent est si violent, cette ville est violente mais la violence couve et peu la voit vraiment ni ne veut la voir. Cette pulsion est à renverser n’importe quel skyscraper, la ville tourne comme un vinyle malsain, t’es avec, t’es dedans, tu culmines en sachant que t’es Icare. T’es bientôt prisonnier, t’es bientôt con, t’es bientôt face à toi même.

Au plafond, les effigies salées, les accents mêlés, les billets de banques paraissent pleuvoir du ciel, ils paraissent « pousser dans les arbres » mais ici, dans cet estaminet à tête de mort, ils sont agrafés au bois pour l’éternité.

Ce que l’éternité vaut à Hong-Kong : quelques mois.

Elisabeth la deuxième a une agrafe sur le front et c’est comme une césarienne sur la couronne.

L’éternité à Hong-Kong se compte en mois et en renouvellement de bail fois 2.

Pile de cartons, pier 7. Les yeux embrumés il s’éveille à l’azur, regarde les chiens-stars, sourit aux hébétés touristes. Le ciel est si rose qu’il a l’impression de s’évanouir à Eurodisney. L’IFC a « no face », il déprime en décombres, comme un con de « western » qui n’a plus le droit de se plaindre. Il se doit d’être heureux puisqu’il y a mille fois plus malheureux. Le Progrès nous a inventé mille choses incroyables à acquérir et il y a encore de l’éternité à retrouver dans l’obsolescence programmée. Le Fortress s’écroule, le silicium des écrans plats reprend vie, Queen’s Road grouille de groins, George n’a ses visions que parce qu’il est lent et que la ville est véloce. Propice et coriace.

La skyline détourne le regard des cartons du dimanche, des pique-niques pas étoilés au Bibendum et des chorédrames philippins. Quand cette planète redeviendra un rocher de silicium, dans des millions d’années, Hong-Kong redeviendra un port de pêcheurs sans pêcheurs. Un caillou. Une vanité avec un peu d’hydrogène suspendu dans l’air.

« Une vanité avec un peu d’hydrogène suspendu dans l’air » qu’il se répète à haute voix.

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Alex Reyval  https://www.instagram.com/alexreyval/

Le rose s’anthracise à toutes ruées. Le ciel gris est comme congelé, des tourbillons d’oiseaux oisifs tourbillonnent, dans un ciel gris de marbre. Marbré. L’orage gronde. Les parapluies s’offusquent. Ce n’est plus un samedi après-midi c’est une guerre mondiale. Helter Skelter, Gimme Shelter, back to bercail. Vite « faut qu’on dirait » le Sud. Il veut voir Stanley à l’heure bleue; celle des chiens et des loups en majorelle de faïence, où chacun croit appartenir à la nuit alors qu’il n’est encore qu’un esclave du Jour, un Sisyphe qu’il faut imaginer heureux.

D’ailleurs chaque jour il se lève avec Friedrich, ça l’excite, se couche avec Baruch, ça le rassure, l’intervalle oscille de droite à gauche entre la souffrance et l’ennui d’Arthur, il le contemple. Et tout le reste est Mickey Parade.

Georges voudrait que son cadavre soit nourricier, reprend une pinte en pensant à toute cette vermine ingrate qui ne lui sera jamais reconnaissante de tout ce malt ingurgité, lui qui se réincarnera en papillon quoi qu’il arrive (Il avait fait le décompte de ses points de karma récemment) puis il relit un poème symboliste consacré à l’endroit, le Smugglers, devenu le Smoothlers donc. C’est cool, y’a du rythme, l’auteur Sven Larsonn lui est complètement inconnu, un type étrange qui se prétend rédacteur en chef et qu’il a peut-être croisé une fois bourré, il ne se souvient lui-même pas très bien.

“Les encombrées d’archanges

Les fleurs qui mélopées

Trouvaient l’endroit étrange,

Psalmodiant en archives

L’envie des noirs mélanges.

Poe, Pis, plus et carènes

L’arrivée sue boulanges

Qui foudroient en silènes

Les petits hommes oranges

Contraints de boire leur peine.

C’est l’endroit bis,

où,

Parfois éclairées

Sentent les parois pisse

D’où

Le lait écrémé

Et la salive

Bouent.”

Pas inintéressant mais tellement confus… George range cette bleuette pseudo-littéraire de Sauvés par le Kong dans la poche revolver de son veston mac-guffin. De la poésie à Hong-Kong et puis quoi encore? La cinquième pinte de Stella a le goût du fer. George savait bien qu’avoir la maîtrise des mots n’impliquait pas celle des émotions. Qu’on avait beau avoir un algorithme congregant tous les mots de Mme Bovary, on n’écrirait pas, on n’écrirait plus Mme Bovary. Gustave Flaubert c’était Emma. C’était l’œuvre d’un seul type qui avait commué son intelligence en sensibilité, fait de ses propres faiblesses les grandeurs des autres, de sa solitude une feinte sociabilité et d’une aigreur une œuvre emplie d’amour. Georges aurait aimé lui ressembler mais la tâche était immense et la volonté petite.

Ce type, Sven Larsonn, devrait écrire sur le pognon et les inégalités ahurissantes de cette ville, il serait plus en phase avec la réalité. Hong-Kong est une vanité, un memento mori de fleurs fanées. Ce n’est plus « souviens-toi que tu vas mourir », c’est « rappelle-toi de vivre » et appuie sur le bouton « puissance de la joie ». C’était son mantra à George, son rayon qui darde jaune “poussin” au travers de n’importe quel nuage gris. In the mood for Love, c’est le chapitre espoir. Dissèque-le.

Dans d’infinis bons gestes, il se repasse ses podcasts, encore à l’envi à dessein et encore. Il commence à déguster de succulents sushis quand une émission préenregistrée sur « L’Education Sentimentale » de Flaubert résonne en ses earphones entrecoupée de lectures.

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Alex Reyval  https://www.instagram.com/alexreyval/

Il voit les porte—containers mais songe aux transatlantiques. Les baies sont immenses quand les groseilles fument de cheminées. Il entend de la musique jazz qui provient du 3ème étage et voit des bateaux à aubes crépusculaires. Il reçoit un mail de George Dufaure de la Prade qui aura 139 ans dans deux jours et plus rien ne semble plus impossible. Borges lui passe un coup de fil, Georges apparaîtra dans son prochain roman. On lui annonce aussi que Stephen a ressuscité et que malgré l’épreuve et le constat fou de la folie du monde, il se porte bien, qu’il est toujours aussi curieux.

La littérature, la poésie, c’est le choix des mots, c’est l’Âme que tu mets derrière, c’est ton « tit » crottin et ton sublime Amour. C’est ton vers de terre amoureux d’une étoile. C’est ton lombric brisé comme un éclat de vitre. C’est du Gustave gueuloir pour du style en musique. Ce sont des poussins jaunes derrière des nuages gris. Ce sont les glaïeuls en glaive du Dormeur Duval, des houx verts et des bruyères en fleur du mal.

Il écoute les lectures de l’Education Sentimentale par Fanny Ardent et les sushis lui semblent à présent médiocres.

Puis…

Georges se réveille et l’inception prend fin. Soudain il pleut. Un dollar métamorphosé en papillon se pose sur son épaule.

Il l’encaisse parce qu’il l’admire.


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