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Colette et la célébration du monde - SAUVÉS PAR LE KONG
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Colette et la célébration du monde

Colette et la célébration du monde

Article paru dans Paroles, le magazine de @afhongkong 🇭🇰/ @davidcordinafle 🙏

Paroles 266 – mai/juin 2023

Trente ans de French May / Mai en cinéma : Place aux femmes ! + Godard est mort, vive Godard ! / Let the mirror speak : projet d’échange théâtre entre Hong Kong et la France / A la rencontre de Nasthasia Faure / Un printemps musical français / Rencontre avec le Studio Tamanoir / Sam ziu — À demi-mot, un projet littéraire de Hong Kong à la Suisse / Colette et la célébration du monde / La francophonie : une langue, des cultures, un festival / L’intelligence artificielle (IA) programme-t-elle l’obsolescence de l’école ? / Koga One à HKWALLS

 

2023 C’est l’année Colette ! A l’occasion du 150ème anniversaire de sa naissance, nous rendons hommage à l’autrice au style inégalable, mère des Claudine, présidente de l’Académie Goncourt et première femme à recevoir des funérailles nationales. Elle aussi fut un monstre sacré à l’instar de Sarah Bernhardt… Elle l’est toujours ! On ne naît pas Colette, on le devient ! Sulfureuse, gouailleuse et furieusement libre, elle défraya la chronique des années folles par ses nombreuses liaisons, amours saphiques et diatribes ad hominem… envers son ex-mari Willy qui l’avait spoliée de ses droits. Mais laissons ces rancœurs un brin poseuses et célébrons plutôt avec elle la beauté d’un monde qu’elle savait si bien retranscrire et dont les mystères impalpables se révèlent à l’aune de sa sensualité. 

 

Paradis de l’enfance: l’îlot retrouvé de Saint Sauveur.

Expatriés, nous appartenons tous à un pays que nous avons quitté comme elle l’écrivait dans le recueil « les Vrilles de la vigne ». Et nous pour qui l’Orient est cardinal, quel plaisir de replonger tous azimuts dans son œuvre afin de perdre tous les nords ! Pour elle, la terre promise, c’est la terre retrouvée de sa Bourgogne natale. Plus tard, de la baie de Somme « framboise, turquoise et cendre verte » quelle imagine irradiée d’un ciel égyptien, aux « rochers compliqués » de Rozven, son perchoir entre ciel et mer près de St Malo, en cheminant via le chef d’œuvre Sido, consacré à sa mère en 1931, voici les clés d’une écriture qui n’a eu de cesse de révérer les beautés de la Nature. Azimutés, rares, enchanteurs, quelques mots suffisent pour que les frontières s’abolissent; c’est la force de son œuvre et la grâce de son style. Ses mots aiguisent nos sens et nous transportent là où elle désire nous emmener. Ici, là, tout près… Dans le jardin de son enfance sis à St Sauveur en Puisay, village devenu mythique à instar de Combray puisque lieu mythifié par l’entremise de ses souvenirs délicats. Tout comme la Madeleine, talisman goûtu des réminiscences de Proust. A la lecture de Sido, l’on s’épanche dans les parfums retrouvés de l’hortus conclusus (« jardin enclos » en latin) lieu des leçons de choses inculquées par la mère matricielle : 

circa 1900: Portrait of the French novelist Sidonie-Gabrielle Colette (1873 – 1954) wearing a hat tied with a scarf around her neck. (Photo by Hulton Archive/Getty Images)

 

« Chut!… regarde 

Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait la chair rosée…

– Qu’il est beau !… chuchotait ma mère. » 

 

Colette écrit pour faire resurgir les souvenirs, regoûter aux délices enfouis – si bien observés au gré de sa tendre enfance; ceux de son paradis terrestre pour nous en donner les clés. Ce rapport particulier au monde – c’est à sa mère qu’elle le doit: la curiosité, l’émerveillement, la « solitaire ivresse de chercheur de trésor », c’est de sa mère Sido, chamane et pythie oraculaire, maîtresse des Vents d’Est et Ouest qu’elle le tient. Cette dernière lui permettra même de se réveiller au milieu de la nuit vers trois heures et demi du matin, dans un « état de grâce indicible » surprendre les aurores éclatantes: « car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense ». Colette enfant, le « Joyau-tout-en-or » de sa mère allait mettre à profit toutes ces sensations imprégnées, ces couleurs et ces fragrances dans ses œuvres où la synesthésie* est reine. On ne la lit pas, on la goûte.

 

« Cinq sens, c’est trop peu ! »

Une écriture de la sensation à l’écoute du vivant.

« Le monde m’est nouveau à mon réveil chaque matin et je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre » écrit-elle au crépuscule de sa vie, en 1954, peu après la sortie sur grand écran de Gigi, adapté de son roman culte. L’éclosion, voilà une autre clé de compréhension de la prose coletienne. Nulle ou peu de chronologie dans les intrigues, l’écriture est souvent fragmentaire, les souvenirs sont apposés sur la page comme des touches de couleurs, comme la mosaïque impressionniste d’une vie ressentie et restituée pour le plus grand plaisir du lecteur qui se laisse guider dans la chatoyance des mots-reflets: « je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d’un sentimental bonheur ou d’un éblouissement optique » partage-t-elle avec nous, lecteur mis à contribution pour parachever la toile perçue dans Sido lorsqu’elle décrit les géraniums et les digitales du jardin.

 

Une fois de plus, c’est un art de la sensation, presque fauviste où les mots deviennent des aplats de couleurs, de textures; elle en use pour recréer des visions, réveiller une mémoire multisensorielle hors du commun pour que ses souvenirs habitués à « jouer en faisceau » projettent des associations uniques d’un vert qui « met l’eau sous la langue » ou d’un parfum « châtain clair ». Accéder aux mystères de la nature, thésauriser les souvenirs d’enfance et célébrer le monde du vivant, cela passe également par la précision lexicale et en ce point Colette était une orfèvre. Munissez-vous d’un dictionnaire, ou d’une barre de recherche pour les plus jeunes qui passent le bac (l’autrice est au programme 2023)! Si cela peut parfois désarçonner l’impétrant, il faut comprendre que la précision lexicale, les hapax (Colette préfère écrire bombyx que papillons de nuit, plus lyrique !) les termes techniques d’horticulture, de géologie ou de botanique qui s’accumulent sont l’apanage d’une quête du mot juste, idoine, poétique et évocateur plus que l’étalage de son érudition. Comme chez Flaubert, Yourcenar ou Huysmans pour ne citer qu’eux, Colette a serti ses phrases de gemmes odoriférantes qui se goûtent, livrant une œuvre exceptionnelle où chacun peut picorer à son aise et comprendre qu’elle est installée durablement au panthéon des grands écrivains qui ont su renouveler la littérature. Lire Colette en 2023 est une évidence. Elle a su créer des poncifs. Comme le rappelle Antoine Compagnon, académicien émérite bouillonnant sous Coupole et citant un certain Baudelaire dans le merveilleux « Un été avec Colette », cela relève du génie.

Matthieu MOTTE 

www.sauvesparlekong.com

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