Le Redoutable : Sous les pavés Godard !
Par Matthieu Motte | Publié le 06/12/2017 (republication)
Michel Hazanavicius était invité par l’Alliance française pour son film Le Redoutable projeté au French Film Festival. Il livre une comédie pleine d’esprit et nous l’explique dans un entretien à suivre vite.
Pour son dernier film, présenté à Cannes, le réalisateur oscarisé Michel Hazanavicius s’est librement inspiré du livre autobiographique Un an après d’Anne Wiazemsky, paru en 2015 et qui retrace la liaison passionnée puis le désamour de celle qui partagea la vie de Godard dans les années 1967-68. Le Redoutable fait écho « sonar » à la fois au premier sous-marin nucléaire français mis à l’eau en 1967 et aux films à cascades du Belmondo d’alors : le Magnifique, le Professionnel, etc. Si le titre semble affubler le réalisateur culte de la Nouvelle Vague d’un épithète martial, il n’en reste pas moins ambivalent…
The Redoutable
Insubmersible et intouchable après de précoces chefs-d’œuvre comme A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou qui le consacrèrent mondialement ? Ou tout bonnement à redouter comme à éviter tant il est insupportable, le front haut, naviguant à vue dans la mer de ses paradoxes ? De la part d’Hazanavicius qui avait carte blanche pour adapter le livre, ce n’est ni un portrait au vitriol ni un hommage léché à celui qu’il admire mais qui a tant défrayé la chronique (parfois de manière douteuse) qu’il s’est isolé de tous. Le réalisateur de The Artist donne à voir un génie torturé, caméra à la main comme une arme de production massive, touchant dans ses faiblesses, énervant dans ses coups de gueule, humain, trop humain en somme. Godard demeure une icône qu’on adore détester ou que l’on déteste aimer mais qui ne laisse jamais indifférent.
“Ainsi vont les acteurs à bord du Redoutable”
Louis Garrel (impeccable) campe le personnage de Jean-Luc Godard, monument du 7ème art et chantre de la Nouvelle Vague. Cheveu sur la langue, alopécie en broussaille, lunettes fumées, morgue qui frise le mépris, le sien cette fois, il court, filme, invective tout au long de la pellicule, habité. Il donne la réplique à Stacy Martin, remarquable en petite bourgeoise ingénue qui veut s’émanciper. C’est l’époque. Contre l’avis de sa famille (c’était la petite fille du Nobel de littérature François Mauriac, proche de De Gaulle), elle devient l’amante de Godard qui l’épousera après le tournage de la Chinoise dont elle tient le premier rôle. Dans un bel appartement germano- pratin à deux pas du Flore, elle s’imprègne comme elle peut des thèses maoïstes de Liu Pei… Puis adviennent les « événements de mai » et le Godard qu’elle aime se radicalise à l’extrême.
Dans un Paris soixante-huitard bouillonnant, les ouvriers et les étudiants battent le pavé, les slogans fusent, le monde change… Mais les lendemains déchantent pour le réalisateur qui s’empêtre dans ses contradictions et sombre en eaux troubles dans une révolution qui le dépasse.
Le Redoutable, “puissance invisible, conscient de la force qu’il inspire”
Le générique en noir et blanc vous plonge dans l’atmosphère, et la première réplique donne le ton. “Wolfgang Amadeus Mozart, mort à 35 ans et il a eu raison. Tous les artistes devraient mourir à 35 ans avant de devenir cons.” C’est du Godard dans le texte, sens de la formule et art du slogan chevillés au corps.
On le retrouve dans sa cuisine, passant en revue la presse, le poste de radio allumé. Nous sommes le 29 mars 1967, Michel Hazanavicius voit le jour et c’est aussi le lancement du premier sous-marin nucléaire français. Dans Le Redoutable, les clins d’œil, les messages en filigrane aussi ne manquent pas et c’est jubilatoire pour le spectateur s’il est un tant soi peu cinéphile. Hazanavicius raconte une histoire autant qu’il joue à faire du cinema et s’amuse avec les codes. L’auteur du cultissime Grand Détournement aime les mises en abîme qui piquent au vif. Louis Garrel qui sort de son rôle pour lancer face caméra, un rien bravache : “tu demandes à un acteur de dire que les acteurs sont cons et il le fait…” ou plus loin comme pour assumer le propos du réalisateur sous la houlette duquel il tourne : “oui je change toujours les règles et alors?” Est-ce que c’est Godard qui parle ou plutôt Hazanavicius ?
A l’occasion du festival du film français de Hong-Kong, nous avions rendez-vous à l’Alliance française pour rencontrer en immersion l’intéressé. L’interview nous a laissé en tête de belles envolées, elle est à suivre dans nos colonnes pour cette fin de semaine !