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Arthur Rimbaud, Voleur de feu et Poète Voyant - SAUVÉS PAR LE KONG
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Arthur Rimbaud, Voleur de feu et Poète Voyant

Arthur Rimbaud, Voleur de feu et Poète Voyant

« J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur… » Quel tohu-bohu plus triomphant que la poésie d’Arthur avant qu’il ne devienne Rimbaud ? De « Sensation », simple et beau comme une bohème d’ado aux fulgurances du « Bateau Ivre », un an à peine s’est écoulé. De l’amour infini qui lui monterait dans l’âme au rut des Béhémots, aux Maelstroms épais, au million d’oiseaux d’or, quelques mois à peine se sont égrenés. Quelques semaines décisives et jaculatoires au cours desquelles le Voleur de feu est devenu le Voyant suprême. Au gré de fugues les poings dans les poches crevées, de sonnets inspirés par la Nature, divine, et des oaristys, interlopes; s’appliquant à devenir visionnaire comme en témoignent ses lettres prophétiques de mai 1871, l’écolier surdoué de Charleville va agréger pour toujours l’art de rimer avec la fureur de vivre.

Article à paraître dans Paroles, le magazine de @afhongkong 🇭🇰/

Matthieu MOTTE

@sauvepourlebac 📚 Sauves pour le Bac 2024

Au Cabaret Vert, cinq heures du soir

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai

       

Voyelles ! Naissances latentes…

Une auberge à la grande Ourse qui scintille, des voyelles versicolores à l’instar d’étoiles au doux frou frou, des neiges éblouies, des sèves inouïes, un cœur fou qui robinsonne dans les aubes exaltées… La lecture des Cahiers de Douai, poèmes de jeunesse d’Arthur sauvés des flammes par Paul Demeny dont la postérité ne retiendra que ce geste, est jubilatoire pour l’humble exégète qui cherche les prémisses des visions, les prodromes du malin génie. Le 30 septembre 1871, Arthur déclame au dîner des Vilains Bonshommes un « Bateau Ivre » dont le delirium de cent alexandrins laisse les commensaux pantois. Parmi eux un certain Verlaine qui avait pressenti que le prodige viendrait à sourdre lorsqu’il lui adressait déjà la célèbre invite : « venez, chère grande âme. On vous appelle on vous attend ». Comment ce miracle d’hallucination simple a pu se produire ? Rimbaud n’a alors jamais vu la mer… L’ivresse combinée au haschisch ? La lecture passionnée de « 20 000 lieues sous les mers », comme certaines biographies le suggèrent ? Mystère et houles du môme… Du haut de ses seize ans, comme depuis une vigie oraculaire, le fugueur de Charleville méduse l’assistance en dégoisant ses fusées, ses visions « sous les rutilements du jour, plus fortes que l’alcool, plus vastes que les lyres ». Il semble être « arrivé à l’inconnu » où nul poète hormis Baudelaire ne s’était égaré, et quand, « affolé », il aurait pu « perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! » comme il l’écrivait quelques mois plus tôt dans sa lettre du Voyant (15 mai 1871).

Vibrements divins des mers virides

Le jeune Arthur marque les esprits, tant par ses frasques – il s’encrapule, on le paie en bocks et en filles – que sa gueule d’ange. Sa rébellion est permanente, sa dissidence consubstantielle : il brûle de tout brûler sur son passage, de faire tabula rasa des clichés romantiques décatis et d’ériger une poésie « en avant », au delà du réel : « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. » Précoce il voulut la rupture, surdoué il invoqua l’inédit, prodigieux il projetta l’inouï. Tout était déjà en germe, prêt à éclore, fusionner et réverbérer. En 1873, dans une Saison en Enfer, il y a au milieu des proses révulsées (inspirées des nuits de débauches de Bruxelles à Londres avec la « Vierge folle, l’époux infernal »- Verlaine) l’aveu d’une invention synesthésique qui apporte un éclairage « colorié » sur la première palette du jeune poète :

   « À moi. L’histoire d’une de mes folies.

J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu,
   U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
 Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »

Arthur Rimbaud, Une saison en enfer (1873).

Mais revenons en arrière, rebroussons chemin sur les pas du « passant considérable », du « fileur éternel des immobilités bleues » à venir car se décèlent déjà sous l’orage des premiers sonnets les fulgurances à venir.

   

Le génie du Mal ou celui du Bien

Les Cahiers de Douai palpitent comme une aube exaltée, comme le point du jour d’une pensée qui va s’altérer en vision oméga, « rayon violet de ses Yeux! ». S’affondant dans le Mal pour incanter la Beauté, Arthur finit par la trouver amère et l’injurier sans ambages… Ses instituteurs avaient prévenu : « Rien de banal ne germera dans cette tête ; ce sera le génie du Mal ou celui du Bien ». Voyant et Voyou Arthur, poète démiurge qui colligea ses Voyelles comme les monades d’une cosmogonie délirante et prophétique (une des clés de l’énigme de Voyelles serait d’ailleurs l’Apocalypse de Saint-Jean et ses visions hallucinées des quatre Cavaliers; cf « Cosme » de Guillaume Meurice paru en 2018). A noir; la provocation, l’irrévérence, les saillies de petit voyou comme des soleils crachés… Venus anadyomene ne sort plus des eaux mais d’une vieille baignoire aux « déficits assez mal ravaudés », la déesse de l’amour n’est plus qu’une catin, « belle hideusement » tatouée au bas des reins, décrite dans un poème dégingandé qui pousse la crudité jusqu’au détail sordide. E blanc; renversement chromatique, l’illumination, l’image foudroyante, le génie adolescent qui en l’espace de trois ans va bouleverser les paradigmes avant de tout envoyer valdinguer : « J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! »

 

         

I rouge ; la rébellion, la gouaille et la morgue, l’indépendance chevillée au cœur, la volonté de s’émanciper de toutes les chapelles, religieuses : « – Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées / Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ; Qui dans le bercement des hosannah s’endort » (le Mal) ; et littéraires : « tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes… ». Il s’affranchit des tutelles maternelles (Vitalie, sa « daromphe » qui lui mène la vie dure), et des oppressions sociales, petit bourgeoises comme dans « À la Musique » où il raille les bourgeois compassés de Charleville, boutons clairs, bedaines flamandes : « qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme, Fort sérieusement discutent les traités, Puis prisent en argent, et reprennent :  En somme !…  » U vert; l’ode à la Nature, mère nourricière de son inspiration, le grand oui panthéiste de Soleil et Chair, le « Credo in Unam » originel à l’aurore triomphale : « je regrette les temps où la sève du monde, l’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts dans les veines de Pan mettaient un univers. » O bleu; l’Oméga, la téléologie d’une prose qui fait de la Poésie un art total, un art de vivre visant à l’hallucination simple et dont les Surréalistes sauront se souvenir :

 

 

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Arthur Rimbaud; lettre à Paul Demeny – 15 mai 1871. Relire Rimbaud. Même si vous ne passez pas le Bac de Français en juin ! Tout Rimbaud. S’en faire un compagnon de route quelque soit la ligne d’horizon. Embarquer sur les clapotements furieux de cette verve qui agrégea pour toujours l’art de rimer avec la fureur de vivre. Le relire c’est se baigner dans le Poème de la Mer, lactescent parce que nourri des promesses de la Voie lactée, le relire c’est agrémenter son quotidien d’un supplément d’âme, sublimer une réalité ingrate et indifférente et faire comme Rembrandt d’un bœuf écorché un temple d’entrailles, pour que chaque nuit obscure et solitaire soit une auberge à la Grande Ourse.

Matthieu Motte

www.sauvespourlebac.com / TEL +852 5964 5985


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